Trois générations de fabricants d’huile : la famille Foussard

Dans le cadre de l’activité de recueil de souvenirs et de témoignages qu’effectue Fundeta auprès d’anciens habitants de la commune de Fondettes, Evelyne Chastel a rencontré Jean Foussard, dont les grands-parents se sont installés à Fondettes à la fin du 19e siècle. Lors de cet entretien, celui-ci a notamment évoqué l’histoire de l’huilerie créée par son ancêtre il y a près de 120 ans, une huilerie dont l’activité s’est poursuivie durant trois générations. C’est cette histoire qui est résumée ici, à partir des mémoires de Jean Foussard, de documents photographiques qu’il nous a confiés, et de quelques recherches dans les archives.

Le fondateur de la petite entreprise familiale est Alexis Louis Foussard. Il est né le 16 mars 1863 à Flée, dans la Sarthe, où ses parents sont cultivateurs. Lorsqu’il est en âge de travailler, il quitte la ferme familiale pour s’engager dans un métier différent de celui de son père : celui de messager, qui consiste à effectuer les transports de toutes sortes de marchandises pour le compte de particuliers, d’artisans ou de marchands. C’est un métier essentiel à l’économie locale, à une époque où les transports ferroviaires ou automobiles sont encore balbutiants. Alexis Foussard, qui s’est équipé d’une charrette et de chevaux, exerce cette activité entre Tours et Château-du-Loir.
Au cours de ses multiples voyages sur le chemin de Tours, il rencontre celle qui va devenir sa femme, Louise Augustine Marcelline Adet (elle se fera appeler de son troisième prénom, Marcelline). Celle-ci est employée comme servante dans un café-relais où Alexis a sans doute l’habitude de s’arrêter. Comme lui, elle est d’origine sarthoise, née à Cormes, un petit village proche de La Ferté-Bernard, le 2 novembre 1873. Leur union est célébrée en février 1895 à Château-du-Loir.
Mais déjà, avant même le mariage, Alexis avait d’autres ambitions. Il était venu à Fondettes se faire embaucher dans l’huilerie exploitée par Etienne et Ernestine Fourneau, au lieu-dit Les Ruettes. Il est alors logé à L’Aubrière, dans ce qu’on appelle aujourd’hui « la petite maison », dédiée à des activités associatives. Alexis reste assez peu de temps au service des Fourneau, car dès 1896, comme en témoigne l’état du recensement effectué cette année-là, il s’est installé à son compte, avec son épouse et un employé, du nom de Louis Adet, sans doute un frère ou un cousin de sa femme. Les jeunes époux, grâce à des aides familiales, ont pu acquérir l’ancienne closerie de Bois-Neuf, une ferme qui joint, au nord, la nouvelle mairie, construite une vingtaine d’années plus tôt.
On ignore tout des raisons qui ont conduit Alexis à Fondettes. Quant au choix de cette activité professionnelle, il est probablement lié au fait que d’autres membres de la famille sont déjà établis dans ce secteur économique : Jean-Baptiste Dupré, beau-frère de Marcelline, est lui-même fabricant d’huile à Dissay-sous-Courcillon.
Si l’huilerie apporte une part des revenus du ménage, elle n’est encore qu’une activité saisonnière. On peut comparer le travail de l’huilier de celui du bouilleur de cru, il est destiné à procurer quelques revenus supplémentaires au fermier. Alexis et Marcelline continuent donc parallèlement l’exploitation de la ferme, dédiée à la polyculture (céréales, fourrage et vigne) sur des terres à proximité.
Sur ce coteau nord de la Loire, la terre à vigne, calcaire, convient parfaitement à la culture des noyers que l’on trouve alors dans tous les champs. Plus tard, dans la seconde moitié du 20ème siècle, le remembrement et la mécanisation de la culture, obligeront à arracher tous ces arbres majestueux pour faciliter la culture et optimiser le rendement agricole. Mais à l’époque de l’installation des époux Foussard, l’huile de noix est, dans notre région notamment, utilisée couramment par les ménages, tant pour l’assaisonnement des salades que pour ses bienfaits thérapeutiques. Chaque ferme possède ses noyers et, pendant les veillées d’hiver, on passe la soirée entre voisins à énouler les noix qui seront ensuite portées à l’huilerie pour être transformées.
De l’union d’Alexis et de Marcelline Foussard vont naître deux enfants : Auguste, en 1896 et Henri, dix ans plus tard, en 1906. Dès l’âge de douze ans,  Auguste assiste son père à l’huilerie. Quant à Marcelline, montée dans une carriole tirée par un cheval, elle assure les livraisons de la production à Fondettes et dans les villages voisins. On peut imaginer que l’activité est vite assez prospère puisqu’en 1911, deux domestiques – dont un domestique agricole – sont employés par le couple.

Mais survient la Grande-Guerre. Ajourné en 1915 parce que jugé trop faible, Auguste, le fils aîné, est finalement mobilisé en 1916, l’année de ses vingt ans. Incorporé au 3e bataillon de chasseurs à pied le 6 septembre, il partira au front en février 1917. Un an plus tard, il se signale par une action courageuse que ses supérieurs jugent ainsi : « Jeune chasseur dévoué et actif. Du 9 au 13 mars 1918, dans des circonstances particulièrement dangereuses, a contribué au déblaiement d’un abri écroulé. » Il est, trois jours après, cité à l’ordre de son régiment, et recevra, à la fin du conflit, la croix de guerre, étoile de bronze. Mais le 31 mai 1918, il est fait prisonnier à Rocourt, dans l’Aisne, et envoyé en Allemagne, d’où il ne sera rapatrié que le 19 novembre 1918, une semaine après l’armistice. Pendant toute sa période au front, il adresse une correspondance très suivie à sa fiancée et à son petit frère Henri, un courrier abondant conservé aujourd’hui par la famille.
Après sa démobilisation, intervenue seulement le 22 septembre 1919, Auguste, de retour à Fondettes, se marie, le 6 juin 1920,  avec Marie Madeleine Bourdin, la fille d’un des maréchaux-ferrants du village. Sur l’acte de mariage, Auguste et son père se déclarent cultivateurs, ce qui montre bien que, pour eux, le travail agricole demeure encore l’activité principale.
Auguste prend alors la succession de son père dans la fabrication d’huile. Il s’installe avec sa femme dans la ferme familiale, tandis que ses parents, eux, viennent loger dans une maison qui existe toujours sur la place de la Mairie. Auguste et Marie Madeleine ont à leur tour deux enfants : Jean et Madeleine.
Avant la mécanisation de la fabrication, les noix étaient écrasées par une meule mue par un cheval, puis la matière était chauffée dans un grand chaudron posé dans la cheminée. Enfin, une fois cuites, les noix étaient pressées pour être transformées en huile. En 1933, Auguste modernise l’installation. Grâce à l’électricité, il installe des presses hydrauliques. Seule était conservée une presse à bras qui a continué à fonctionner pendant la 2ème guerre mondiale, lorsque l’électricité vint à manquer.
Mais la presse, acquise alors par Auguste Foussard, contenait de grandes et lourdes plaques métalliques. Peu après l’installation, l’une d’elles tombe accidentellement et blesse gravement Auguste au pied. Des complications entraînent, en novembre 1933, le décès de l’artisan huilier. Il est, à cette époque, âgé de 37 ans, et ses deux enfants, Jean et Madeleine, n’ont respectivement que 12 et 9 ans.
Son épouse reprend donc courageusement la fabrique, aidée d’un ouvrier. Elle se charge elle-même des tournées de livraison. Henri, le frère cadet d’Auguste, s’est installé, lui, à Amboise comme marchand d’huile et limonadier. Il vient de temps en temps prêter main forte à sa belle-sœur.

Dès qu’il est à son tour en âge, Jean, qui nous a confié ses souvenirs, prend en charge l’huilerie. Il se souvient que, pendant la dernière guerre, il a fallu diversifier la production : on a commencé à fabriquer de l’huile avec le colza (une plante que l’on ne cultivait avant cela que pour le fourrage), les œillettes, les camelines, les pépins de citrouille, les tournesols… Le résidu de ces productions était récupéré et transformé en tourteaux pour la pêche. Les occupants allemands venaient régulièrement contrôler la production, il fallait donc tenir avec rigueur les registres indiquant les quantités produites.  
Si certaines personnes apportaient leurs noix et récupéraient l’huile pour leur consommation personnelle, d’autres vendaient leurs récoltes à Jean Foussard. Alors, le fabricant commercialisait directement son huile et fournissait notamment les épiceries et les restaurants de Tours. C’est le samedi qu’il effectuait les livraisons en ville avec sa camionnette. La production artisanale d’huile était alors devenue une activité à part entière.
Mais, dans les années 1950/1960, les habitudes changent. Les noyers sont progressivement arrachés pour permettre de cultiver les champs plus facilement. L’huilerie devient de moins en moins rentable. L’industrialisation de l’alimentation et le début des supermarchés précipitent la fin de l’huilerie.
La fabrique ferme définitivement en 1964 et Jean Foussard change de profession. Aujourd’hui, il habite toujours la maison de ses parents, là où son grand-père a créé la fabrique il y a plus d’un siècle. Il nous a reçus dans sa salle de séjour, qui fut jadis la pièce où Alexis chauffait les noix dans la grande cheminée et les broyait sous la meule actionnée par son cheval.

Evelyne Chastel
et Jean-Paul Pineau
(avril 2015)

La famille Foussard : Alexis et Marcelline, les grands parents, Auguste et sa femme, Jean et Madeleine.